Réflexion sur mes lectures de quarantenaire
Lire pour se laisser emporter — et non pour « avoir lu »
« Que m’importe un livre qui n’a pas même la vertu de nous emporter par-delà tous les livres ? »
— Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir
Longtemps, j’ai abordé certains livres comme on aborde une case à cocher dans une liste. Je me disais qu’il « fallait » les avoir lus. Parfois, il s’agissait de grands classiques ; parfois, de romans dont tout le monde parlait. Alors je me forçais. Je lisais lentement, péniblement, avec l’impression de remplir un devoir plutôt que de savourer un moment.
J’étais fière de pouvoir dire « Je l’ai lu », mais au fond, l’expérience était exempte de cette fameuse joie…celle qui donne envie de se replonger dans un ouvrage au détour d’un après-midi ou d’une soirée tranquille.
Nietzsche et l’exigence de l’évasion
Nietzsche rappelle dans cette citation que la lecture devrait avoir le pouvoir de nous transporter « par-delà tous les livres ». C’est-à-dire au-delà de l’érudition, au-delà de la simple accumulation de pages lues. Un livre qui compte vraiment est celui qui, le temps de la lecture, nous fait oublier le reste : les obligations, les tensions, les bruits extérieurs… et parfois même le besoin d’en lire un autre ensuite.
Il ne s’agit pas seulement de lire pour apprendre ou pour se cultiver, mais de lire pour vivre une expérience, pour traverser un paysage intérieur, pour sentir la pensée ou l’imaginaire de l’auteur nous soulever.
La liberté de reposer un livre
Accepter que certains livres ne nous emportent pas, c’est aussi retrouver notre liberté de lecteur. On ne finit pas une conversation ennuyeuse uniquement parce qu’on l’a commencée. On essaie de l’écourter. Alors pourquoi finir un livre qui ne nous parle pas ?
Reposer un livre, c’est faire de la place à d’autres lectures, à celles qui nous happent, qui nous font lever les yeux avec un sourire ou une émotion, qui restent en nous comme une musique douce ou entraînante.
Lire pour soi, pas pour le paraître
Aujourd’hui, je ne lis plus pour -inconsciemment- pouvoir dire « Je l’ai lu ». Je lis pour que le livre m’emporte, comme le veut Nietzsche. Peu importe que ce soit un grand classique « incontournable ». Peu importe qu’il soit « conseillé » ou non. Ce qui compte, c’est ce qu’il provoque en moi : une vibration, une curiosité, une envie de tourner la page avec gourmandise.
La lecture n’est pas une épreuve à réussir. C’est un voyage — et le bon livre est celui qui, sans effort, nous fait oublier le billet retour.