Dans un avis du 17 mai 2021 (n° 21-06), la Défenseure des droits alerte sur les risques d’atteintes aux droits et libertés liés au pass sanitaire, prévu par la loi relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire. Ce pass vise à permettre aux citoyens de justifier de leur vaccination, de leur guérison de la covid-19 ou du résultat négatif d’un test PCR.
Cet avis est particulièrement riche en enseignement, et s’inscrit comme une mise en garde public pour éviter une utilisation abusive de ses « plein pouvoirs » par le gouvernement. Des préconisations à conserver, en ce qu’elles peuvent constituer des leviers de contestations de mesures susceptibles de porter atteinte aux droits des citoyens.
Concernant la méthode :
- La Défenseure des droits regrette qu’une disposition aussi importante que celle prévoyant la mise en œuvre du « pass sanitaire » ait été présentée par le Gouvernement sous forme d’amendement au texte en commission des lois saisie au fond. Cette procédure ne permet pas de bénéficier des informations et garanties sur la forme et le fond qu’auraient apporté une étude d’impact et un avis du Conseil d’Etat. En effet, selon elle, la mise en place de ce pas induit à des questions fondamentales et structurantes. Elle regrette que cette question soit traitée par le pouvoir règlementaire, dans un délai extrêmement court et sans concertation.
- Par ailleurs, sous couvert d’un projet de loi de « gestion de la sortie de la crise sanitaire », la Défenseur des droits note que « le Gouvernement prévoit de conserver des prérogatives exceptionnelles du régime de l’état d’urgence sanitaire pour lutter contre l’épidémie de Covid-19, lui permettant de prendre de fortes mesures restrictives de droits et libertés [NDRL : mesures portant atteinte à la liberté d’aller et venir, à la liberté de réunion, à la liberté de manifestation, ainsi qu’à la liberté d’entreprendre], et ce pendant une durée supplémentaire de quatre mois, du 2 juin au 30 septembre 2021 ». Elle estime que ces dispositions viennent prolonger des mesures du régime de l’état d’urgence sanitaire, qui n’a pourtant vocation qu’à être temporaire et à ne s’appliquer que le temps strictement nécessaire à la gestion de la « catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population », au sens de l’article L. 3131-12 du code de la santé publique (CSP).
- La Défenseure des droits relève également que le projet de loi permettra de déclarer à nouveau l’état d’urgence sanitaire localement dans des territoires qui connaîtront une dégradation de la situation sanitaire, et ce pour un délai de deux mois, sans que le Parlement ne soit saisi d’une prorogation, comme le demande pourtant l’article L. 3131-13 du CSP. Elle estime cette mesure non justifiée, au regard des pouvoirs exorbitants placés entre les mains du pouvoir exécutif.
Concernant le manque de clarté du dispositif :
- La question de l’application du dispositif aux mineurs : Pour la Défenseur des droits, le texte manque de clarté, et en l’absence de disposition expresse contraire, elle en déduit que le « pass sanitaire » a vocation à s’appliquer à tous les mineurs. Ainsi, « Si le souhait est de ne pas inclure les enfants dans ce dispositif, ce que préconise la Défenseure des droits, cela supposerait d’être indiqué de manière claire, soit en exemptant explicitement les mineurs du «pass sanitaire», soit en fixant une limite d’âge raisonnable et des modalités adaptées. »
- La question du calcul de la jauge de 1000 personnes retenue par le gouvernement : La Défenseur des droits alerte sur le risque de mauvaise interprétation du texte dès lors qu’il n’est pas précisé si le calcul de la jauge de 1000 personnes pour l’accès à « certains lieux, établissements ou évènements impliquant de grands rassemblements de personnes pour des activités de loisirs ou des foires ou salons professionnels » se calcule au regard du seul public accueilli ou s’il faut comptabiliser le personnel.
- Le risque de discrimination : Ce texte ne précise pas non plus les obligations faites aux professionnels et aux bénévoles œuvrant dans les lieux et les établissements accueillant du public, ce qui peut soulever des risques de discrimination, notamment à l’embauche.
- L’absence de précision sur la durée de validité du pass en cas d’immunité reconnue après une infection à la covid-19 : Par cette question, la Défenseur des droits regrette l’absence d’accès aux données scientifiques (durée de validité d’un examen virologique ; durée de l’immunité dans le cas d’un rétablissement après contamination ; nombre de doses nécessaire pour la vaccination ; quid d’un certificat d’exclusion médicale exonérant les personnes ne pouvant être vaccinées pour des raisons de santé).
- Concernant la gestion des déplacements : Dès lors que les déplacements à destination ou en provenance du territoire hexagonal, de la Corse ou des territoires ultramarins seraient soumis à la production d’un résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination au Covid-19, d’un justificatif de l’administration d’un vaccin contre le virus ou d’un certificat attestant de leur rétablissement à la suite d’une contamination par le virus, la Défenseur des droits rappelle, à juste titre, qu’ « afin de respecter le principe d’égalité de traitement de tous les citoyens sur le territoire français, l’accès aux tests, aux vaccins et aux justificatifs demandés devra être garantie ».
- Concernant la mise en quarantaine et l’isolement : Le projet de texte prévoit que le Préfet pourra s’opposer au choix du lieu retenu par la personne « s’il apparaît que ce lieu ne répond pas aux exigences visant à garantir l’effectivité de ces mesures et à permettre le contrôle de leur application ». S’agissant d’une atteinte à la liberté personnelle et au respect de la vie privée, la Défenseur invite à un effort de clarification et d’encadrement d’une telle mesure, notamment en ce qui concerne les critères d’appréciation pris en compte par l’administration et de prendre en compte la situation personnelle de la personne et de trouver, le cas échéant, une solution qui permette de concilier sa vie privée et familiale avec les objectifs de protection de santé publique.
Concernant le caractère inégalitaire du tout numérique : La Défenseur des droits rappelle régulièrement le caractère inégalitaire du « tout numérique » et d’une dématérialisation imposée sans autre solution. Elle attire ainsi l’attention du Gouvernement pour que soit assurée la mise à disposition de preuves certifiées en format papier, expressément prévue par la loi.