Dans un arrêt du 5 juillet 2022 (n° 448015), le Conseil d’Etat se prononce sur la responsabilité disciplinaire du médecin qui signale des mauvais traitements sur mineurs. Il rappelle que la responsabilité disciplinaire ne peut être engagée si le signalement a été effectué dans les conditions prévues par l’article 226-14 du code pénal. Seule exception à cette règle : le cas où le médecin a agi de mauvaise foi.
En principe, le médecin et plus généralement le professionnel de santé est tenu de ne pas révéler et signaler, et cela vaut aussi à l’égard des autorités, les informations à caractère médical dont il a connaissance. Ce principe ressort des dispositions de l’article 226-13 du code pénal qui prévoit que la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire par profession est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende et de l’article R. 4127-4 du CSP énonçant son obligation déontologique de garder le secret sur tout ce qui est venu à sa connaissance dans l’exercice de sa profession, « c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris ».
Par exception, l’article 226-14 du code pénal autorise le médecin, dans certains cas, à révéler certaines informations médicales et les signaler aux autorités sans encourir de condamnation pénale. Il s’agit de l’hypothèse où il constate des sévices ou privations, sur le plan physique ou psychique, dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Si la personne est majeure, il doit préalablement obtenir son accord. En présence d’un mineur ou d’un majeur protégé, cet accord n’est pas requis.
Les dispositions de l’article 226-14 octroient donc au professionnel de santé une faculté de signalement dont l’exercice ne peut, en principe, être pénalement, civilement ou disciplinairement sanctionné[1]. Toutefois, le dernier alinéa de l’article 226-14 prévoit que « le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s’il est établi qu’il n’a pas agi de bonne foi ».
La responsabilité du professionnel est donc encourue s’il n’a pas agi de bonne foi. Comment cela peut-il se caractériser ?
Dans un arrêt du mai 2021 (Mme D, req. n° 431346), le Conseil d’Etat a défini le signalement régulier :
- Le signalement doit émaner d’un professionnel de santé ;
- Il doit concerner une victime de sévices ou privations ;
- Il doit être adressé au procureur de la République ou à la CRIP (cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes). Toutefois, il a été jugé que le médecin ayant adressé un signalement au juge des enfants qui était déjà saisi n’avait pas commis de faute disciplinaire (n° 431352) ;
- Il doit s’appuyer sur les constatations de sévices ou de privations que le médecin a faites personnellement et dans l’exercice de sa profession, ce qui exclut notamment des constatations faites dans un cadre privé. Ces constatations doivent en outre le conduire à présumer que la victime a subi des violences, quelle que soit leur nature.
Lorsque ces conditions sont remplies, le médecin doit en principe bénéficier de l’immunité juridictionnelle, notamment disciplinaire, énoncée par le dernier alinéa de l’article 226-14, à moins qu’il ne soit établi qu’il n’a pas agi de bonne foi, l’absence de bonne foi, donc la mauvaise foi, exposant le praticien à des poursuites pénales, civiles ou disciplinaires. C’est ce que rappelle le Conseil d’Etat :
« Il résulte de ces dispositions que lorsqu’un médecin signale au procureur de la République ou à la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes des faits laissant présumer qu’un mineur a subi des violences physiques, sexuelles ou psychiques et porte à cet effet à sa connaissance tous les éléments utiles qu’il a pu relever ou déceler dans la prise en charge de ce jeune patient, notamment des constatations médicales, des propos ou le comportement de l’enfant et, le cas échéant, le discours de ses représentants légaux ou de la personne accompagnant l’enfant soumis à son examen médical, sa responsabilité disciplinaire ne peut être engagée à raison d’un tel signalement, s’il a été effectué dans ces conditions, sauf à ce qu’il soit établi que le médecin a agi de mauvaise foi ».
La bonne ou mauvaise foi est appréciée souverainement par le juge disciplinaire et il appartient donc à la partie qui invoque la mauvaise foi de la prouver.
En conclusion : Le médecin ne bénéficie pas d’une immunité irréfragable. En effet, quand bien même il respecte le cadre légal de signalement, sa responsabilité pourra être recherchée sur le fondement de la mauvaise foi…
[1] On soulignera ici une dissonance avec le code de déontologie. En effet, d’un point de vue disciplinaire, le signalement de ces mauvais traitements est une quasi-obligation déontologique, dès lors que puisque l’article R. 4127-44 du CSP dispose que lorsqu’un médecin discerne qu’un mineur auprès duquel il est appelé est victime de sévices ou de privations, « il alerte les autorités judiciaires ou administratives, sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience ». L’utilisation de l’indicatif vaut impératif.