Dans une QPC du 29 juillet 2022, le Conseil s’est penché, pour la première fois, sur la constitutionnalité de l’article 909, alinéa 1er du Code civil, qui consacre l’interdiction de recevoir des libéralités pour les membres des professions de santé (Cons. const., 29 juillet 2022, n° 2022-1005 QPC).
Le principe de l’interdiction est ancien puisqu’il figure depuis l’origine dans le Code civil. Dans sa version incriminée, issue de l’article 9 de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, en vigueur depuis le 1er janvier 2009, l’article 909, alinéa 1er du Code civil dispose que :« Les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu’elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de celle-ci ».
Autrement dit, un malade pris en charge par un professionnel de santé ne peut consentir au profit de ce dernier, ni de don, de donation ou de legs au cours de ses soins et dès lors qu’il décède des suites de sa maladie.
Dans l’affaire qui a donné lieu à la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), Madame J est décédée le 13 avril 2014, en laissant un testament olographe daté du 5 octobre 2012 et instituant Madame G, infirmière libérale, légataire de divers biens mobiliers et immobiliers.
Celle-ci a assigné en délivrance de son legs l’héritier de la défunte qui a contesté la capacité de celle-ci de recevoir sur le fondement de l’article 909 du Code civil.
L’infirmière a alors posé une QPC, transmise par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel : « Les dispositions de l’article 909, alinéa 1er du Code civil, qui interdisent à une personne de gratifier les auxiliaires médicaux qui lui ont procuré des soins au cours de sa dernière maladie, sont-elles contraires aux articles 2, 4, 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen en ce qu’elles portent atteinte au droit de disposer librement de ses biens en dehors de tout constat d’inaptitude du disposant ? ».
Le Conseil constitutionnel admet que les dispositions contestées interdisent aux membres de certaines professions de santé de recevoir des libéralités de la part des personnes auxquelles ils ont prodigué des soins au cours de la maladie dont elles sont décédées. Ce faisant, elles limitent la capacité des personnes atteintes d’une telle maladie à disposer librement de leur patrimoine. Or « le droit de disposer librement de son patrimoine étant un attribut du droit de propriété, les dispositions contestées portent atteinte à ce droit ».
Toutefois, le Conseil justifie l’atteinte au droit de propriété par le législateur. « En adoptant ces dispositions, le législateur a entendu assurer la protection de personnes dont il a estimé que, compte tenu de leur état de santé, elles étaient placées dans une situation de particulière vulnérabilité vis-à-vis du risque de captation d’une partie de leurs biens par ceux qui leur prodiguaient des soins. Il a ainsi poursuivi un but d’intérêt général ».
En outre, le Conseil constitutionnel constate que cette interdiction est strictement limitée :
- Elle ne vaut que pour les libéralités consenties pendant le cours de la maladie et dont le donateur ou le testateur meurt.
- Elle ne vise que les membres des professions médicales, de la pharmacie ainsi que les auxiliaires médicaux (visés par le Code de la santé publique) et, ce « à la condition qu’ils aient dispensé des soins en lien avec la maladie dont est décédé le patient ».
Il en conclut que l’atteinte au droit de propriété est justifiée par un objectif d’intérêt général de protection des patients et proportionnée par rapport à cet objectif.