Si un médecin peut, à l’issue d’une procédure collégiale, décider de ne pas entreprendre un traitement en cas d’urgence vitale pour un patient, une telle décision doit, d’une part, respecter le droit au recours des proches, d’autre part, être limitée dans le temps. Elle ne peut, en outre, être exécutée qu’en l’absence d’évolution favorable de l’état du patient.
LES FAITS : A la suite d’un accident de la circulation qui a occasionné de graves lésions encéphaliques excluant toute prise en charge neurochirurgicale, M. A. a été transféré dans le service de réanimation du centre hospitalier régional universitaire de Nancy. Quelques semaines plus tard, au vu du pronostic neurologique défavorable du patient, ce service a informé la famille qu’il était envisagé d’engager une procédure de limitation des traitements actifs en cas d’urgence vitale. M. A. a été extubé puis transféré dans le service de neurochirurgie de l’hôpital. La procédure collégiale prévue dans de telles hypothèses a été mise en œuvre et le CHRU de Nancy a fait appel à un consultant extérieur, professeur au centre hospitalier universitaire de Strasbourg, qui a émis un avis aux termes duquel la réadmission en réanimation en cas de dégradation clinique de l’état du patient ne lui paraissait pas indiquée. L’équipe médicale a rencontré les membres de la famille du patient au cours du mois de juin 2018 pour leur rendre compte de la procédure en cours et leur indiquer que l’exécution de la décision de limitation des traitements actifs en cas de détresse vitale serait suspendue le temps nécessaire à l’exercice de leur droit au recours puis elle a décidé, le 5 juillet 2018, que M. A. ne serait pas transféré en unité de prise en charge en soins critiques en cas de détresse vitale afin d’éviter toute obstination déraisonnable. Deux membres de la famille de M. A. ont demandé au juge du référé-liberté du tribunal administratif de Nancy de suspendre l’exécution de cette décision. Le recours a été rejeté faute d’urgence, et les requérants se sont donc pourvus en cassation.
LE CHOIX DU REFERE : Le Conseil d’Etat rappelle le cadre très particulier dans lequel s’exerce le référé liberté lorsqu’il est saisi d’une décision prise par un médecine conduisant à interrompre ou à ne pas entreprendre de traitement au motif que ce dernier traduirait une obstination déraisonnable. Dans la continuité de sa jurisprudence antérieure (CE, ass., 14 févr. 2014, n° 375081, Mme Lambert), il rappelle qu’il doit concilier les libertés fondamentales en cause, respect de la vie et droit du patient de consentir à un traitement médical et de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d’une obstination déraisonnable.
En l’espèce, le Conseil d’Etat annule l’ordonnance pour dénaturation. La décision du 5 juillet 2018 contestée prévoit, sans limiter ses effets dans le temps, qu’il ne serait pas fait appel à l’équipe de réanimation en cas de détresse vitale présentée par M. A. Le Conseil d’Etat estime que, dès lors que la détresse vitale du patient était susceptible d’intervenir à tout moment, l’urgence existait. Il règle alors l’affaire au fond.
LA SUSPENSION DE LA DECISION : Ce n’est pas tant la décision médicale qui est remise en cause mais la manière dont elle est rédigée. En effet, la décision de fin de traitement ne subordonne par son exécution à l’absence d’évolution favorable de l’état de santé de M. A. et ne fixe, ainsi qu’il a été dit précédemment, aucune limite à son champ d’application dans le temps. Le Conseil d’Etat en déduit « que, faisant obstacle, en cas de survenance d’une détresse vitale de l’intéressé, à l’exercice d’un recours en temps utile à son encontre, elle est susceptible d’entraîner des conséquences de nature à porter une atteinte à une liberté fondamentale qu’il appartient au juge du référé-liberté de faire cesser immédiatement ». Il prononce donc la suspension de la décision querellée.
Dans un souci didactique, la haute juridiction précise quelles conséquences l’autorité médicale doit tirer de cette suspension. En application d’une réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel (2 juin 2017, n° 2017-632 QPC), celle-ci doit « permettre, dans tous les cas, aux membres de la famille de M. A., s’ils s’y croient fondés, de saisir en temps utile le juge des référés administratif sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative afin qu’il puisse procéder, au vu de la situation actuelle à la date de sa décision, à la conciliation du droit au respect de la vie et du droit du patient de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d’une obstination déraisonnable ». A la suite de la décision du Conseil d’Etat, il appartient à la même autorité « de procéder, sans que soit requise la procédure collégiale prévue par les articles L. 1110-5-1 et R. 4127-37 du code de la santé publique, à un nouvel examen de l’état de santé du patient, et si, au terme de celui-ci, elle décide de ne pas entreprendre un traitement de réanimation de M. A., en cas de détresse vitale de celui-ci, de subordonner l’exécution de cette nouvelle décision à l’absence d’évolution favorable de la situation et, en toute hypothèse, d’en limiter le champ d’application dans le temps en retenant une durée ne pouvant excéder trois mois. Le cas échéant, au terme de ce délai, cette décision pourrait être prolongée dans les mêmes conditions ».
Source : CE, 28 nov. 2018, n° 424135