Si l’essor de la e-santé est primordial pour les Français, le développement actuel de ses instruments représente de nouveaux risques pour tous.
1/ Constats de défaillances
Les constats de défaillances ou risques de défaillance sont nombreux :
- 1 Des atteintes au principes d’égalité
Outre la fracture numérique, l’accès de tous aux bénéfices de la e-santé est loin d’être garanti. Les exemples sont nombreux, parmi lesquels les patients atteints de maladies rares. Or, l’ensemble des maladies rares concerne 6% de Français (énorme) qui sont obligés, faute d’interconnexions rapides possibles entre leurs praticiens et eux, de se rendre parfois plusieurs fois par semaine chez leur médecin traitant qui, incompétent le plus souvent (sans qu’on puisse le lui reprocher bien sûr), envoie le patient aux urgences avec tout ce que cela entraîne en frais d’Assurance maladie et en temps pour tous… Et pour l’heure, les entrepreneurs en e-santé et les médecins ne sont pas incités à créer des systèmes destinés à organiser les interconnexions nécessaires.
Il faudrait donner un sens concret à la signification réelle du principe d’égalité selon lequel « à situations identiques traitement identique et à situations distinctes, traitement distinct ». Or, on note une réelle absence de prise en compte particulière des particularités (les patients atteints de maladies rares devraient faire l’objet d’une règlementation plus favorable et les malades chroniques devraient être les bénéficiaires prioritaires des nouvelles technologies en e-santé).
- 2 Un manque de connexion acteurs publics/acteurs privés au service de la e-santé
Là encore, les illustrations ne manquent pas… :
- Manque de communication entre établissements publics de santé (ou ESPIC comme CLCC en cancéro) et entrepreneurs privés ; il faudrait favoriser les partenariats public/privé.
- Les entrepreneurs privés ne sont pas incités par les pouvoirs publics à mieux sécuriser leurs projets (propriété intellectuelle, droit des sociétés…).
- Il existe de nombreux freins juridiques à la création de plateformes e-santé.
- L’insuffisance du soutien public incite les entrepreneurs à rechercher des investisseurs de type assureurs privés, trop souvent éloignés des exigences d’intérêt général.
- La validation de protocoles expérimentaux est trop souvent incontournable et trop longue, décourageant les initiatives privées.
- Les freins règlementaires à la coopération entre professionnels de santé sont nombreux (médecins, IDE, pharmaciens) alors que ces derniers manifestent le souhait de concourir ensemble à l’essor de la télémédecine.
- Les freins CPAM existent aussi (remboursement très circonscris avec risques de répétitions d’indus pour les médecins en cas de contrôle de la Sécurité sociale).
- 3 Les risques en termes de protection des données de santé
On pense avant tout aux risques de transmission ou de récupération illicite (par du piratage le plus souvent) des données de santé. Nous avons pu dernièrement assisté à un cas de démarchage d’une entreprise de collecte de déchets médicaux à domicile qui a réussi à se procurer le numéro de téléphone de patients pour leur proposer leurs services payants… !
Voir également un article en cours de publication sur le « Health Data Hub » dans la revue Expertises.
- 4 Une négligence trop importante des dimensions européenne et internationale
L’insuffisance de liens européens et internationaux pour le développement de projets e-santé en partenariat avec les autres Etats/continents est flagrante et de plus en plus problématique…
- 5 Un manque de formation des professionnels de santé à l’éthique et au juridique
Ce manque de formation est d’autant plus étonnant que les professionnels de santé sont motivés mais manquent tout simplement de propositions à cet égard.
2/ Solutions proposées
- Il faut que les pouvoirs publics travaillent davantage avec des professionnels de terrain qui ont pu constater eux-mêmes les difficultés et comprendre en pratique comment les résoudre ou du moins les amenuiser. Ceci permettrait une structuration d’idées et de propositions concrètes par des experts aux profils très complets et complémentaires (médecins, juristes, patients, sociologues etc…).
- Il faut identifier et reconnaître les limites du droit (exemple : décisions juridictionnelles non éthiques, incohérence de certaines règles, barrières à l’innovation, lenteur des pouvoirs publics…) et proposer des solutions adéquates (création, adaptations de règles etc…).
- Il faut aider les pouvoirs publics à distinguer l’affichage « éthique » qui ne l’est pas (et qui est en fait une barrière à l’entrée du marché de la e-santé) de l’éthique réelle indispensable et pourtant souvent négligée.
- Il faut convaincre les acteurs de la e-santé du rôle de l’éthique dans la lutte contre les dérives, notamment pour pallier les insuffisances du droit (idée que l’éthique devient même un argument commercial pour eux).
- Il faut œuvrer à garantir l’ensemble de ces concepts : sécurité, transparence, intégrité, traçabilité, confiance…
- Il faut concilier droit/éthique/économie en faisant du secteur de la e-santé un vecteur d’économie sociale et solidaire néanmoins partie intégrante de la santé publique.
- Il faut s’ouvrir à l’international en gardant notre souveraineté.
- Il faut instaurer un dialogue public/privé en dépassant les clivages.
- Il faut donner des directives aux ordres professionnels dans l’interprétation uniforme mais aussi contextuelle des textes (quand ils ont par exemple à valider des contrats de professionnels de santé en e-santé).
- Il faut favoriser la formation et l’information.
- Il faut associer les associations de patients, bénéficiaires finaux des instruments.
CONCLUSION
L’Etat doit réguler le secteur, c’est-à-dire garantir un équilibre parfaitement ajusté entre le « laisser faire » sur le marché (indispensable à l’innovation et au progrès) et un interventionnisme aguerri afin de prévenir, faire cesser et sanctionner toute rupture d’équilibre au détriment de l’usager des services de santé.