Le journal Le Point a demandé à la CNIL de l’autoriser à accéder à la base de données nationale sur l’activité des établissements de santé (base « PMSI ») afin de réaliser et de publier un palmarès des hôpitaux et des cliniques français. La CNIL a rejeté à ce stade cette demande, estimant qu’il était nécessaire que le Point précise et améliore la méthodologie de son classement. Dans un communiqué de presse publié le 10 novembre 2022, la CNIL précise les motifs de son refus.
Le contexte :
Chaque année, le journal Le Point élabore son « palmarès annuel des hôpitaux et des cliniques ». Pour calculer les indicateurs nécessaires à l’établissement de ce palmarès, la société d’exploitation du journal (la Société SEBDO) analyse les réponses aux questionnaires qu’elle adresse aux établissements et se fonde sur des données publiques. Elle utilise également des données issues d’une base de données qui contient toutes les informations relatives aux séjours, consultations et actes de soin réalisés dans les établissements de santé : le PMSI (Programme de médicalisation des systèmes d’information).
Compte tenu de la sensibilité du PMSI, et dans la mesure où les données qu’elle contient pourrait permettre de réidentifier les patients, la loi du 26 janvier 2016 (dite « loi de modernisation du système de santé ») prévoit que l’utilisation de cette base de données n’est pas libre, y compris pour les journalistes. Elle doit être autorisée par la CNIL, après avis d’un comité consultatif indépendant de celle-ci. Ce comité est composé de personnalités qualifiées et d’experts choisis, notamment, en raison de leurs compétences en matière de recherche dans le domaine de la santé. L’autorisation nécessite que le projet du demandeur poursuive « une finalité d’intérêt public ».
Les demandes de la société SEBDO :
La société SEBDO a déposé, entre 2018 et 2020, plusieurs demandes d’autorisation afin de traiter les données du PMSI pour établir le palmarès annuel publié par Le Point. Lors des précédentes demandes, le comité consultatif avait recommandé à la société de préciser et d’améliorer substantiellement la méthodologie utilisée pour établir ce classement. La CNIL avait alors accordé les autorisations d’accès au PMSI.
La société a ensuite réitéré ses demandes pour l’élaboration du palmarès 2022. Cependant, le cadre juridique a de nouveau évolué : le législateur a renforcé la protection des données de santé par la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé (loi dite OTSS). Il a également créé un nouveau comité consultatif, le Comité éthique et scientifique pour les recherches, les études et les évaluations dans le domaine de la santé (CESREES), dont les missions ont été renforcées. Celui-ci évalue la qualité scientifique et méthodologique de projets d’études nécessitant le recours à des données personnelles de santé ainsi que leur intérêt public (objectifs, bénéfice attendu, modalités de transparence, intégrité, qualité scientifique etc.).
C’est dans ce contexte nouveau que la demande de la société a été étudiée. Et la CNIL a refusé l’autorisation d’accès au PMSI.
Ce dernier a souligné :
- plusieurs limites méthodologiques dans l’élaboration du classement (indicateurs retenus et pondération) et des biais méthodologiques majeurs
- qu’en l’état le palmarès pouvait être contraire à l’intérêt public en ce que « la construction des indicateurs retenus dans le palmarès peut conduire à diffuser une information erronée sur les performances relatives réelles des établissements de santé pouvant induire en erreur les patients »
Sur la base de cette analyse, la CNIL indique que malgré la nécessité de garantir la liberté de la presse, l’utilisation des données du PMSI ne pouvait pas être autorisée en l’état car :
- les « biais méthodologiques » relevés par le CESREES dans ses avis apparaissent de nature à influer substantiellement sur les résultats du classement hospitalier diffusé auprès du public ;
- les indicateurs calculés à partir des données du PMSI sont susceptibles d’avoir une influence sur les choix de nombreuses personnes dans leurs parcours de soin, qu’il s’agisse des lecteurs du journal Le Point ou d’assurés sociaux qui consultent ces indicateurs grâce à un partenariat conclu avec un important réseau de soins ;
- la méthodologie n’est pas librement accessible au public alors même que les données du PMSI sont susceptibles de concerner l’ensemble de la population. Par ailleurs, la description de cette méthodologie diffusée auprès des lecteurs du magazine n’est pas suffisamment précise pour leur permettre d’en apprécier la qualité ou les éventuels défauts.
C’est donc la qualité de la méthodologie qui est remise en cause par la CNIL, ne permettant pas de garantir « une finalité d’intérêt public ».
Naturellement, le journal Le Point a crié à la censure. Mais la CNIL rappelle que le journal Le Point peut utiliser d’autres sources que le PMSI. Et s’il souhaite utiliser cette base, il est libre de déposer une nouvelle demande d’autorisation sur la base d’un dossier modifié, tenant compte des observations précédemment émises.
Il apparaît, à mon sens, que la CNIL n’abuse pas de ses pouvoirs pour censurer le journal. Au contraire, elle fait preuve de pédagogie. Car, par ce refus, la CNIL ne protège peut-être pas pleinement la liberté de la presse, mais son intégrité, dès lors que le refus est fondé sur la nécessité de garantir aux lecteurs de disposer d’une information fiable.
Source : Site de la CNIL « Palmarès des hôpitaux » : la CNIL précise les raisons de son refus d’autoriser le Point à accéder à la base de données des hôpitaux