Le tribunal administratif de Montreuil retient la responsabilité pour faute de l’Etat en matière de police sanitaire dans l’affaire des prothèses PIP. Déroulant la méthode du Conseil d’Etat dans l’affaire du Mediator, il retient la faute simple mais la borne dans le temps. Il admet le préjudice d’anxiété en le limitant lui aussi dans le temps et en ne le reconnaissant pas en l’espèce
En 2005, Mme L. s’est fait implanter, à des fins esthétiques, des implants mammaires de la marque Poly Implant Prothèse (PIP).
En 2010, une inspection inopinée menée par l’Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS), a révélé que la société PIP utilisait frauduleusement un gel de silicone différent de celui pour lequel elle avait obtenu un certificat de conformité pour la fabrication d’implants mammaires. Le directeur général de l’AFSSAPS a alors pris une décision de suspension de la mise sur le marché, de distribution, d’exportation et d’utilisation. Les personnes ayant bénéficié de la pose de ces implants ont été invitées à les retirer, ce qu’a fait Mme L.
Estimant que l’AFSSAPS avait commis des carences fautives dans l’exercice de sa mission de contrôle et de police sanitaire des activités de la société Poly Implant Prothèse (PIP), Mme L. sollicitait la condamnation de l’Etat à lui verser une somme de 24.120 € en réparation de ses préjudices.
Comment la responsabilité de l’Etat, du fait des autorités agissant en son nom, peut-elle être engagée en matière de dispositifs médicaux ?
Le tribunal administratif de Montreuil rappelle qu’il n’existe pas de régime dérogatoire et que les principes généraux de responsabilité s’appliquent. Dans le cas de Mme L, il convient de démontrer une faute, un préjudice et un lien de causalité direct et certain.
La faute de l’Etat
Pour Mme L., l’Etat a commis une faute en agissant tardivement. Elle estimait que, au regard des informations et des pouvoirs d’investigation dont l’AFSSAPS disposait, le directeur aurait dû agir bien avant 2010. En effet, les autorités américaines avaient fait un signalement en 1996, qui avait conduit à suspendre la mise sur le marché de ces prothèses à plusieurs reprises.
Le tribunal souligne néanmoins que la suspension a été levée en 2001, aux termes d’une enquête contradictoire et d’une expertise, et que parallèlement, l’AFSSAPS avait mis en place un système de matériovigilance. L’analyse des données de vigilance entre 2001 et 2008 ne permet pas de mettre en exergue un risque accru à l’utilisation des implants PIP.
En revanche, les données de vigilance pour l’année 2008 ont fait apparaître une augmentation significative des incidents et notamment des cas de rupture des membranes. Le 26 novembre 2009, l’AFSSAPS reçoit même une délation sur les matières utilisées.
De ces constatations, le tribunal en déduit que, au jour de l’implantation des prothèses chez Mme L., aucun élément ne pouvait conduire l’AFSSAPS à une vigilance accrue quant à l’utilisation des prothèses PIP, sans que le principe de précaution ne puisse être invoqué. En revanche, elle aurait dû agir dès avril 2009, date à laquelle elle a reçu et traité les données de vigilance 2008.
L’AFSSAPS a donc agi avec un retard d’un an, en ne prenant pas les mesures nécessaires de contrôle et d’investigations complémentaires nécessaires pour analyser ces incidents plus rapidement :
« Dans ces conditions, l’AFSSAPS, entre avril 2009 et le 18 décembre de cette même année, s’est fautivement abstenue d’agir et a, par suite, engagé la responsabilité de l’Etat en matière de police sanitaire ».
La sécurité sanitaire suppose donc d’agir vite, voire même très vite. En effet, l’AFSSAPS avait deux solutions à mettre en balance à compter d’avril 2009 :
- 1° Suspendre la mise sur le marché des prothèses le temps de l’enquête. Cette solution permet de préserver les intérêts des utilisateurs du dispositif médical, ce qui s’avèrerait conforme à la mission de l’autorité.
Si, in fine, l’enquête révélait la conformité du dispositif médical à son autorisation de mise sur le marché, le distributeur du dispositif médical aurait pu engager une action en responsabilité de l’Etat en vue d’indemniser son manque à gagner. Encore aurait-il fallu considérer que la suspension était fautive.
- 2° Ne rien faire et attendre la poursuite de l’enquête. Cette solution, bien moins favorable aux utilisateurs du dispositif médical, et expose l’Etat à l’engagement de sa responsabilité si l’inertie de l’autorité est considérée comme fautive, comme c’est le cas en l’espèce.
Les préjudice et le lien de causalité :
Mme L. invoquait :
– un déficit fonctionnel temporaire pendant et postérieurement à son hospitalisation de 2005, lors de la pose des implants ;
– un déficit fonctionnel temporaire pendant et postérieurement à son hospitalisation d’avril 2010, lors de la dépose des implants et leur remplacement ;
– un déficit fonctionnel permanent lié à des douleurs séquellaires à partir de juin 2010 ;
– un préjudice patrimonial lié aux frais de remplacement des prothèses ;
– des souffrances physiques et psychiques liées à l’opération d’explantation de 2010 ;
– un préjudice moral lié à l’anxiété depuis qu’elle sait qu’elle porte des implants mammaires PIP.
Le tribunal administratif de Montreuil rejette l’ensemble des demandes indemnitaires de Mme L., faute d’être en lien direct et certain avec la faute commise par l’AFSSAPS. Les préjudices indemnisables devaient effectivement découler du retard pris par l’AFSSAPS dans la suspension des prothèses PIP. Seule la période écoulée entre avril et décembre 2009 importait donc.
Or, les préjudices invoqués « découlent directement de l’implantation de ses prothèses mammaires le 29 avril 2005, et de leur explantation et remplacement en 2010. Elle n’apporte aucun élément de nature à établir qu’elle aurait des douleurs séquellaires qui seraient liées à leur maintien en place en 2009, ni d’ailleurs qu’elle aurait entendu procéder à leur explantation dès cette année, n’ayant d’ailleurs fait état d’une gêne qu’à partir de la fin de cette même année, ni n’invoque de difficultés médicales particulières à cet égard au cours de cette même année et de préjudices qui y seraient afférents ».
Il en aurait été différemment si, par exemple, Mme L. avait démontré avoir été informée de l’utilisation du gel de silicone frauduleux entre avril et décembre 2019, ce qui aurait induit un préjudice d’anxiété indemnisable, par exemple.
Ce jugement permet de rappeler que l’existence d’une faute de l’Etat ne fait pas naître un droit automatique à indemnisation. Il faut nécessairement que cette faute fasse naître un préjudice dont il est la conséquence directe.
Source : TA Montreuil, 29 janvier 2019, n° 1800068