En 2015 et 2017, un chirurgien-dentiste est condamné judiciairement à indemniser deux patientes des conséquences dommageables de soins et traitements qu’il leur avait dispensé. Il avait eu recours à des implants à la composition imprécise et avait réaliser des traitements prothétiques et implantaires non conformes aux données acquises de la science.
A raison de ces faits, le conseil départemental de l’ordre auprès duquel est inscrit le chirurgien-dentiste porte plainte contre lui pour manquements à son obligation déontologique d’assurer des soins éclairés et conformes aux données acquises de la science. Le conseil départemental de l’ordre avait également versé aux débats trois procès-verbaux de conciliation signés en 2005 et 2012, afférents à d’autres faits et concernant d’autres patientes. Sur la base de cette plainte, le chirurgien-dentiste s’est vu infligé la sanction de la radiation par la chambre disciplinaire de première instance.
Le chirurgien-dentiste sanctionné a formé appel de cette décision devant la chambre disciplinaire nationale. Il contestait notamment la production, par le conseil départemental, de procès-verbaux de conciliation anciens, sans rapport avec les deux condamnations dont il a fait l’objet en 2015 et 2017. En d’autres termes, il contestait la proportion de la sanction, estimant qu’elle ne devait correspondre qu’aux faits pour lesquels il avait été condamné judiciairement. La chambre disciplinaire nationale a annulé cette décision et lui infligé la sanction de l’interdiction temporaire d’exercer la profession de chirurgien-dentiste pour une durée d’un an, dont six mois assortis du sursis.
Le conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes a contesté cette décision devant le Conseil d’Etat. La question ainsi posée était de savoir si le conseil départemental pouvait invoquer des faits anciens, ayant fait l’objet d’une conciliation. Le Conseil d’Etat rappelle :
« Eu égard à l’objet de la procédure de conciliation, à son caractère obligatoire, et au rôle qui est celui du conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes durant son déroulement, les procès-verbaux établis à l’occasion d’une procédure de conciliation organisée, sous l’égide d’un conseil départemental, entre un patient et un chirurgien-dentiste ne peuvent être utilisés par ce conseil départemental en appui à une plainte qu’il forme contre le même praticien à raison d’autres faits concernant d’autres patients ».
Il en déduit que « la décision de la chambre disciplinaire de première instance, qui s’était en partie fondée sur ces pièces, devait être annulée, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des chirurgiens-dentistes n’a pas entaché sa décision d’erreur de droit ». Il juge ensuite la sanction adaptée.
Par cet arrêt, le Conseil d’Etat rappelle l’importance de la conciliation dans le cadre de la procédure disciplinaire, et le rôle important de l’Ordre en la matière, qui apprécie à ce stade la pertinence des doléances. Car s’il y a conciliation, la procédure en reste là. Les procès-verbaux sont « seulement » conservés au dossier du praticien, mais le conseil départemental n’est plus saisi du différend. Il reste tenu au secret. En revanche, en l’absence de conciliation, le conseil départemental de l’ordre se transmet la plainte à la chambre disciplinaire de première instance et se statue sur la nécessité de s’associer ou non à la plainte. Il n’est donc pas entièrement neutre dans ce processus.
En conséquence, si des conciliations sont intervenues par le passé, elles ne peuvent être invoquées par l’ordre départemental pour prononcer une sanction contre le praticien. Cet arrêt a le mérite de rappeler l’importance de l’étape de conciliation préalable obligatoire et souligne que l’ordre n’est pas qu’une simple chambre d’enregistrement mais a un rôle réel dans ce processus.
Source : CE, 27 mai 2021, n° 431548