On peut s’étonner de cette question dès lors que l’homologation n’est que la constatation judiciaire de l’accord de médiation convenu entre les parties. Certes, l’ordonnance n’est pas purement déclarative puisqu’elle donne force exécutoire à l’accord de médiation. Mais la contestation de l’ordonnance d’homologation ne conduit-elle pas à contester le contenu de l’accord même ?
Dans un arrêt du 2 mai 2022, la Cour administrative d’appel de Bordeaux admet l’intérêt à agir des parties à l’accord de médiation, tout en rappelant l’office du juge en la matière.
LES FAITS : M. L., directeur territorial, est employé par un centre communal d’action sociale (CCAS) depuis le 1er janvier 1999. Il bénéficie, depuis novembre 2001, d’une décharge totale d’activité pour l’exercice d’un mandat syndical. Un litige l’a opposé à son employeur concernant le versement de l’indemnité d’exercice de missions des préfectures (IEMP) et de l’indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires (IFTS), qui a donné lieu à un arrêt devenu définitif, concernant les années 2010 à 2015.
En 2017, M. L. a saisi le tribunal administratif (TA) de deux nouveaux recours concernant ses droits à indemnité, l’un relatif aux années 2016 à 2020 et l’autre relatif aux années 2005 à 2009. Le CCAS a demandé au tribunal d’organiser une médiation pour régler ces deux litiges. M. L. en ayant accepté le principe, deux médiateurs ont été désignés par la juridiction et les parties sont parvenues à un accord, formalisé par un protocole qu’elles ont signé toutes les deux. Le jour de la signature, le CCAS a demandé au tribunal d’homologuer cet accord. C’est ce qu’a fait le président de la deuxième chambre par une ordonnance du 11 janvier 2022. Toutefois, M.L. relève appel de cette ordonnance et demande de rejeter la demande d’homologation présentée par le CCAS.
LE PROBLEME DE DROIT : La question posée à la Cour est donc la suivante : Le justiciable a-t-il intérêt à agir contre la décision du juge qui homologue l’accord de médiation qu’il a accepté ? En effet, l’homologation peut-elle faire grief à l’une des parties à la médiation alors qu’en signant l’accord, il a manifesté sa volonté de le voir exécuté ?
Dans ses conclusions, la Rapporteure Public propose de reconnaître l’intérêt à agir, en s’appuyant sur l’office du juge de l’homologation. Elle rappelle :
« Le juge doit tout d’abord s’assurer de la réalité du consentement des parties : si celui-ci n’existe pas, la partie concernée a alors effectivement un intérêt à dénoncer l’homologation qui aura été prononcée. Le juge doit ensuite vérifier que l’objet de l’accord est licite, qu’il n’implique pas de la part de la personne publique une libéralité et qu’il ne méconnaît pas d’autres règles d’ordre public. A cet égard, certains moyens soulevés par l’appelant pourraient justifier un intérêt à agir, notamment s’agissant de la licéité de l’objet, même si on pourrait également avoir une réserve sur la légitimité de l’intéressé à se prévaloir, en quelque sorte, de sa propre turpitude, s’il apparaît qu’il a en toute connaissance de cause consenti à un accord contraire à l’ordre public ou dont l’objet est illicite.
Enfin, on peut préciser que lorsqu’il est saisi d’une demande d’homologation d’un accord de médiation qui constitue une transaction, le juge doit encore examiner si celle-ci répond aux exigences fixées par le code civil et par le code des relations entre le public et l’administration pour ce type d’accord.
Sans exclure donc par principe l’intérêt à agir de l’une des parties à l’accord qui relève appel d’un jugement d’homologation, on pourrait imaginer que celui-ci ne soit admis qu’en fonction de l’appréciation des moyens qu’elle soulève. Le juge d’appel ferait alors un raisonnement en deux phases : il examine d’abord les conditions de fond de validité de l’accord pour ensuite, s’il ne constate aucun manquement, rejeter comme irrecevable, pour défaut d’intérêt à agir, la requête présentée devant lui.
On pourrait également adopter une solution plus simple, en estimant que les parties à un accord de médiation ont toujours un intérêt leur donnant qualité pour saisir le juge d’appel d’une demande tendant à contester un jugement accordant ou refusant l’homologation dès lors qu’elles invoquent la méconnaissance, par l’accord de médiation, des principes et règles rappelés précédemment. C’est la solution que nous vous proposons d’adopter ».
La Cour administrative d’appel suit cette proposition et admet la recevabilité du recours au regard du motif invoqué par M.L., à savoir « la méconnaissance, par le juge de l’homologation, de son obligation de vérifier tant l’existence d’un accord de volonté des parties que le respect de règles d’ordre public ».
Elle rappelle un point fondamental de forme : Aucune disposition du code de justice administrative ne donne compétence au président de la formation de jugement pour se prononcer seul sur la demande d’homologation. L’homologation d’un accord de médiation doit respecter le principe de collégialité des jugements. La Cour annule donc l’ordonnance portant homologation de l’accord de médiation.
La Cour se prononce ensuite sur le fond pour apprécier si l’accord de médiation respecte les principes fixés par les textes. Constatant qu’aucun vice du consentement susceptible de remettre en cause l’accord n’est établi dans le dossier, elle homologue l’accord de médiation.
En conclusion : L’homologation d’un accord de médiation induit une vérification, par le juge, du respect des principes de la médiation. Cet arrêt rappelle, in fine, l’importance du rôle du médiateur.
Sources : CAA Bordeaux, 02-05-2022, n° 22BX0220
Isabelle Le Bris, Rapporteur public, « Le justiciable a-t-il intérêt à agir contre la décision du juge qui homologue l’accord de médiation qu’il a accepté ? », AJDA 2022 p.1843