Tout médecin est soumis au secret médical. Lorsqu’il s’agit de se défendre, sur quoi porte ce secret ? Peut-il être levé ? Jusqu’où le secret peut-il être levé ?
LES FAITS : M. B… a porté plainte devant la juridiction disciplinaire ordinale contre M. C…, médecin qualifié en chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique, lequel avait pratiqué une pénoplastie d’allongement et d’augmentation du volume de la verge, puis une seconde intervention dite de retouche et enfin une injection d’acide hyaluronique, à la suite desquelles il a été diagnostiqué comme présentant une neuropathie sensitive du nerf dorsal de la verge occasionnant des douleurs permanentes, le privant de toute vie sexuelle, cette situation l’ayant plongé dans un désarroi le conduisant à une hospitalisation en psychiatrie suivie de deux tentatives de suicide.
LA PROCEDURE : M. B… a porté plainte devant la chambre disciplinaire de l’ordre des médecins. A l’issue de la procédure, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins a porté à deux ans dont un an assorti du sursis la durée de l’interdiction d’exercer la médecine infligée à M. C… par la juridiction de première instance. Les juges d’appel ont retenu de nombreux manquements (la violation de l’obligation d’information inscrite à l’article R. 4127-35 du code de la santé publique, le fait de ne pas avoir limité ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité et à l’efficacité des soins ainsi que l’impose l’article R. 4127-8 du code, la proposition
d’un procédé à tout le moins illusoire, en méconnaissance de l’article R. 4127-39 du code, le fait d’avoir fait courir à l’exposant un risque injustifié en méconnaissance de l’article R. 4127- 32 du code, la dispense de soins qui ne sont pas consciencieux, ni dévoués contrairement à de l’article R. 4127-40 du code, la méconnaissance de l’interdiction faite au médecin d’effectuer tout acte de nature à procéder au patient un avantage matériel, injustifié ou illicite, tel que cela résulte de l’article R. 4127-24 du code, la méconnaissance de l’interdiction de toute fraude, abus de cotisation, indication inexacte des honoraires perçus et des actes effectués, inscrite à l’article R. 4127-29 du code et l’obligation tenant à ce que les honoraires du médecin ne peuvent être réclamés qu’à l’occasion d’actes réellement effectués, comme l’exige l’article R. 4127-53 du code).
M. B… a formé un pourvoi car, pour sa défense, M. C… a versé aux débats des éléments médicaux susceptibles d’étayer l’affirmation selon laquelle M. B… présenterait une pathologie psychiatrique pouvant rendre compte de son attitude et du caractère exagéré de ses griefs. Et la chambre disciplinaire nationale a considéré qu’il ne s’agissait pas d’une violation du secret médical dès lors que ces éléments sont nécessaires à la défense du médecin.
LA QUESTION POSEE : Jusqu’où le médecin peut-il aller pour se défendre, sans violer le secret médical ?
LA SOLUTION : Dans ses conclusions, M. Raphaël Chambon, Rapporteur public, rappelle de manière très complète, le cadre du secret médical :
- Que ce soit devant le juge judiciaire ou le juge administratif, l’obligation pour le médecin de respecter le secret professionnel « a un caractère général et absolu et ne cesse que dans les cas déterminés par les dispositions législatives » (CE, 12 avril 1957, Devé, p. 266 ; Cass. Crim., 8 avril 1998, n° 97-83.656, Bull. crim., n° 138).
- L’article L. 1110-4 du code de la santé publique dispose que le secret médical s’impose à tout professionnel intervenant dans le système de santé « excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi ». Institué dans l’intérêt des patients, le secret médical constitue une obligation déontologique pour le médecin et couvre, selon l’article R. 4127-4 du code de la santé publique, tout ce qui est venu à sa connaissance dans l’exercice de sa profession, « c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris ». L’irrespect du secret médical est par ailleurs pénalement sanctionné (article 226-13 du code pénal).
- Par exception, les juges admettent ainsi qu’un professionnel de santé puisse révéler des informations pour défendre un intérêt professionnel dès lors que cette divulgation est strictement nécessaire pour l’exercice des droits de la défense ou n’apparait pas disproportionnée au but poursuivi (Crim., 24 avril 2007, n° 06-88.051, Bull. crim. 2007, n° 108 ; Soc., 31 mars 2015, n° 13-24.410, Bull. 2015, V, n° 68 ; 1re Civ., 18 mars 1997, n° 95-12.576, Bulletin 1997, I, n° 99 ; CE, 27 déc. 2021, n° 433620, aux Tables).
Ainsi, dans l’arrêt commenté, le Conseil d’Etat confirme cet état jurisprudentiel en sanctionnant la chambre disciplinaire qui n’a pas recherché si les éléments médicaux produits étaient strictement nécessaires à la défense de M. B…:
Ainsi, la communication d’informations médicales selon lesquelles M. B… est atteint d’un trouble mental dit de « fonctionnement limite » sur un « mode anaclitique (situation de carence affective maternelle) », est en « quête de perfection et de l’estime de l’autre », d’un besoin d’un « étayage constant » pour « survivre » et de « l’incapacité à être seul » et se trouve sous traitement antipsychotique et anxiolytique, n’était absolument pas strictement nécessaire à la défense de ses droits par le praticien. Ces informations n’ont strictement aucun rapport avec les fautes reprochées au médecin et leur communication tendait seulement à décrédibiliser l’auteur de la plainte en mettant sa démarche sur le compte de ses troubles psychiatriques. La circonstance avancée en défense que certains traitements antipsychotiques peuvent avoir des effets secondaires affectant les fonctions sexuelles est totalement hors sujet dès lors que ce n’est pas ce dont se plaignait M. B… et encore moins ce qu’il reprochait au praticien.
EN BREF : Lorsque le médecin veut produire des éléments couverts par le secret médical, il doit vérifier que ces derniers sont strictement nécessaires au besoin de la défense (ex : communication de la feuille de consentement signée, compte-rendu d’analyse médicale, compte-rendu opératoire…). Ces documents doivent permettre de se défendre quant aux fautes reprochées.
Source : CE, 22 août 2023, n° 462636