Cette question concerne aussi bien les requérants que leur avocat.
La façon dont l’expertise se passe peut être beaucoup plus traumatisante que la solution défavorable qu’elle entraîne elle-même au sein du rapport rendu par l’expert.
Heureusement, et disons-le d’emblée : les experts sont en général des gens parfaits, compétents, respectueux de tous les participants, impartiaux, et dotés de tact et de délicatesse 😊
Quand bien même l’expert conclut à une solution défavorable aux requérants, cette solution est le plus souvent expliquée en fin d’expertise, quand il s’est fait son idée. Cette dernière est alors bien étayée, tant sur la forme que sur le fond.
Mais pour LA fois occasionnelle où cela se passe mal, cela se passe alors vraiment très mal…
Nous vous relatons ici la pire expertise de nos 5 dernières années, concernant le recours d’une famille dont le père et mari est décédé suite au renvoi du patient à domicile par l’hôpital.
L’expert, vêtu d’une blouse qui fut peut-être blanche en son temps (raccord avec les locaux à l’hygiène douteuse) a d’abord accueilli l’avocat des victimes d’une façon peu commune : « Ah dommage que Maître B. ne soit pas là car j’avais des choses à lui dire….Ma fille est également avocate et si elle avait écrit un torchon pareil, elle s’en serait pris une… ! ».
La phrase se passe de commentaires tellement c’est du « jamais vu » niveau violence verbale, à la limite de la menace d’atteinte à l’intégrité physique.
Me B. avait écrit une note d’observations en défense du point de vue de ses clients, et en ce sens elle n’avait fait là que son humble travail pour lequel elle est maintenant expérimentée. Les faits étaient présentés de façon neutre mais les sentiments de la famille du patient décédé y ont été décrits tels quels, sans qu’aucun membre du corps médical n’ait fait l’objet de critique à son encontre en particulier.
Mais de toute manière, quand bien même la qualité de la note aurait laissé à désirer selon l’expert, comment accepter des propos aussi agressifs et menaçants de la part d’un individu dont les fonctions exigent au contraire et en principe une délicatesse particulière, ne serait-ce que vis-à-vis de l’ambiance qu’il convient de poser pour les requérants ?
In fine, bien que cela soit heureusement rarissime, que faire lorsque l’on se retrouve face à un expert qui fait preuve d’une telle agressivité et donc d’une telle incompétence (cette déduction étant valable y compris si l’expert a perdu la tête !) ?
Et bien malheureusement, et quelque soit le caractère aberrant de la réponse, cette dernière tient en 4 lettres : RIEN !
La famille et Me B. ont écrit à la Commission de conciliation et d’indemnisation mais n’ont jamais obtenu de réponse. Une réponse, même désagréable, aurait été mieux admise.
Face à ce silence inexorable, la famille doit continuer à vivre avec un traumatisme supplémentaire, dont ils ne peuvent faire part à personne (vu que la Commission a, comme souvent, repris mot pour mot les notes de l’expert dans son avis).
Alors que l’expert, lui, pendant toute l’expertise, n’a cessé de faire sa propre psychothérapie en parlant du décès à domicile de son propre père ; et au lieu de se servir de ce souvenir triste pour éventuellement faire comprendre aux requérantes qu’il les comprenait, il a orienté le débat vers le fait que lui étant « un homme », les râles de l’agonie ne l’avaient pas autant traumatisé (sous-entendant que la réaction des requérantes était probablement exagérée au regard de ce qu’elles ne sont « que » des femmes). En somme il a fait part de conceptions personnelles à tendance misogyne, totalement déplacées dans le cadre d’une expertise.
Enfin, le but premier de l’expertise est de permettre aux requérants d’obtenir des réponses à leurs questions et d’apaiser leurs angoisses. Non seulement ce but n’a pas été atteint, mais bien pire, la famille est aujourd’hui dans une plus grande incompréhension et détresse encore. Heureusement et tout à son honneur, seule la partie adverse (l’hôpital) a apporté quelques éléments de réponse permettant à la famille de mieux comprendre -et donc d’accepter- certains points.
En outre, nombre de détails ne sont pas développés dans cet article mais l’expert n’a épargné personne avec ses remarques méprisantes, à l’instar de : « Allez-y maître, récitez-nous le code civil » ! Les requérantes, infirmières diplômées d’Etat, ont toutes deux fait l’objet de remarques avilissantes, l’expert insistant bien sur la supériorité du médecin dans la hiérarchie médicale. Ce qui était parfaitement hors propos…
Près d’un an après cette expertise, un gros doute persiste ponctuellement au cabinet : comment continuer à œuvrer en responsabilité médicale dans un climat de confiance, d’impartialité et même, en l’occurrence, d’une « justice saine d’esprit » ?
Car l’expert, pour faire taire la famille en leur expliquant que les personnes mourant étouffées « ont une mort douce », a ajouté : « Ils voient de la lumière ». Comment peut-on accepter que notre dossier soit étudié par une personne auteur de propos aussi délirants ?
Avant de conclure haut et fort : « un Président ne désavoue jamais son expert », avec un ton triomphant et révélant effectivement, dans ce cas précis, le caractère parfaitement oligarque de l’organisation autour de l’expertise.
Il ressort de cette histoire terrible que les requérants comme les avocats sont en droit de s’interroger aujourd’hui sur l’indépendance de la « justice » rendue dans ce cadre précis.
La Commission n’a jamais répondu à nos interrogations sur le contrôle des experts. Contrôle qui, encore une fois, ne ferait principalement que confirmer la compétence incontestable des experts en général, mais qui, ponctuellement, pourrait venir assainir le milieu et garantir ainsi la conformité de la justice aux principes constitutionnels les plus basiques ?
Si quelqu’un a une idée pour que le système change et soit sécurisé pour les victimes et leurs avocats, écrivez-nous à contact@kos-avocats.fr
Dans cette attente, il faut encore trouver la force de relever la tête et de continuer à défendre nos clients, en espérant pouvoir les soumettre à une justice digne de ce nom…