L’HISTOIRE : Monsieur A est victime d’un accident de circulation le 28 février 2018, à la suite duquel il souffre de lésions encéphaliques dont la gravité exclut toute prise en charge neurochirurgicale. Il est transféré dans le service de réanimation chirurgicale polyvalente du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy. Le 19 mars 2018, au vu du pronostic neurologique défavorable du patient, le service informe la famille qu’il est envisagé d’engager une procédure de limitation des traitements actifs en cas de détresse vitale. Une extubation est réalisée, suivie du transfert du patient dans le service de neurochirurgie de l’hôpital. La procédure collégiale prévue par les articles L. 1110-5-1 et R. 4127-37 du code de la santé publique est ensuite mise en œuvre le 3 mai 2018. Dans ce cadre, l’hôpital fait appel à un consultant extérieur, professeur au centre hospitalier universitaire de Strasbourg, qui émet un avis aux termes duquel la réadmission en réanimation en cas de dégradation clinique de l’état du patient ne lui paraît pas indiquée. L’équipe médicale rencontre les membres de la famille du patient au cours du mois de juin 2018 pour leur rendre compte de la procédure en cours et leur indiquer que l’exécution de la décision de limitation des traitements actifs en cas de détresse vitale sera suspendue le temps nécessaire à l’exercice de leur droit au recours. Puis elle décide, le 5 juillet 2018, que M. A ne sera pas transféré en unité de prise en charge en soins critiques en cas de détresse vitale afin d’éviter toute obstination déraisonnable. Les proches de M.A saisissent le juge des référés du tribunal administratif de Nancy pour demander la suspension de cette décision. Le Tribunal rejette la demande des requérants, lesquelles saisissent alors le Conseil d’Etat.
LA QUESTION : dans quelle mesure une équipe médicale peut-elle décider de ne pas réanimer un patient en cas de détresse vitale afin d’éviter toute obstination déraisonnable ?
LE RAISONNEMENT DU CONSEIL D’ETAT :
- Le CE rappelle d’abord la mission du juge administratif de concilier les libertés fondamentales en cause que sont le droit au respect de la vie et le droit du patient de consentir à un traitement médical et de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d’une obstination déraisonnable.
- Le CE énonce qu’en vertu des articles L. 1110-1, L. 1110-2, L. 1110-5, L. 1110-5-1, L. 1110-5-2 et L. 1111-4 du code de la santé publique, tels qu’interprétés par la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017, « la décision du médecin d’arrêter ou de ne pas mettre en œuvre un traitement traduisant une obstination déraisonnable, conduisant au décès d’un patient hors d’état d’exprimer sa volonté, doit être notifiée à la personne de confiance désignée par celui-ci ou, à défaut, à sa famille ou ses proches, dans des conditions leur permettant d’exercer un recours en temps utile, ce qui implique en particulier que le médecin ne peut mettre en œuvre cette décision avant que les personnes concernées, qui pourraient vouloir saisir la juridiction compétente d’un recours, n’aient pu le faire ou obtenir une décision de sa part».
- En l’espèce, la décision du 5 juillet 2018, dont l’exécution n’est pas subordonnée à l’absence d’évolution favorable de l’état de santé de M.A., ne fixe aucune limite à son champ d’application dans le temps. Ainsi, faisant obstacle, en cas de survenance d’une détresse vitale de l’intéressé, à l’exercice d’un recours en temps utile à son encontre, elle est susceptible d’entraîner des conséquences de nature à porter une atteinte à une liberté fondamentale qu’il appartient au juge du référé liberté de faire cesser immédiatement.
- Le CE poursuit : « Il incombe à l’autorité médicale de permettre, dans tous les cas, aux membres de la famille, s’ils s’y croient fondés, de saisir en temps utile le juge des référés administratif afin qu’il puisse procéder, au vu de la situation actuelle à la date de sa décision, à la conciliation du droit au respect de la vie et du droit du patient de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d’une obstination déraisonnable ».
- Dès lors, il appartient à l’autorité médicale de procéder, sans que soit requise la procédure collégiale prévue par les articles L. 1110-5-1 et R. 4127-37 du code de la santé publique, à un nouvel examen de l’état de santé du patient, et si, au terme de celui-ci, elle décide à nouveau de ne pas entreprendre un traitement de réanimation du patient, en cas de détresse vitale de celui-ci, de subordonner l’exécution de cette nouvelle décision à l’absence d’évolution favorable de la situation et, en toute hypothèse, d’en limiter le champ d’application dans le temps en retenant une durée ne pouvant excéder trois mois. Le cas échéant, au terme de ce délai, cette décision pourrait être prolongée dans les mêmes conditions.
- Le CE ordonne dès lors la suspension de l’exécution de la décision du 5 juillet 2018 et annule l’ordonnance du Tribunal administratif.
LA SOLUTION EN BREF :
Si l’autorité médicale peut, à l’issue d’une procédure collégiale, décider de ne pas entreprendre un traitement de réanimation en cas d’urgence vitale pour un patient, cette décision doit respecter le droit au recours des proches. Par ailleurs, elle ne peut être exécutée qu’en l’absence d’évolution favorable de l’état du patient et doit être limitée dans le temps (durée maximale de 3 mois).
Amélie BEAUX