Le Conseil d’État vient de rendre en référé une décision très intéressante, bien que menaçante pour l’avenir de la télémédecine telle que l’initiative privée la concevait initialement… (Conseil d’Etat, 29/05/2019, Association DIGISANTE et centre de santé de CNP et Téléconsultations c/ CNAM, n°429188).
L’HISTOIRE :
L’association DigiSanté a pour objet de gérer des centres de santé et de téléconsultations. Elle assure la gestion d’un centre de santé à Créteil, lequel centre assure des prestations en principe remboursées par l’assurance maladie.
Par une décision du 3 janvier 2019, le directeur général de la CNAM a mis fin au remboursement des actes de téléconsultations réalisés par les professionnels du centre aux motifs que les modalités d’organisation des consultations de télémédecine ne répondent pas au cadre de prise en charge des actes de téléconsultations définis par la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance maladie signée le 25 août 2016 et notamment son avenant 6.
L’association DigiSanté et le centre de santé ont alors saisi le juge des référés du Conseil d’Etat (procédure d’urgence où le juge ne se prononce en principe pas sur le fond du litige) afin qu’il ordonne la suspension de l’exécution de la décision de la CNAM.
Les requérants invoquaient que la condition d’urgence était remplie dès lors que, d’une part, l’exécution de la décision portait une atteinte grave et immédiate à la situation économique de l’association et du centre de santé dont le modèle économique repose sur la facturation des actes réalisés et au remboursement de ces actes par les Caisses d’assurance maladie et, d’autre part, entraînait l’impossibilité pour le centre de santé d’accomplir son activité principale de délivrer des soins remboursables par l’assurance maladie. Ils précisaient par ailleurs que la décision litigieuse ne respectait pas le cadre de prise en charge des actes de téléconsultation défini par l’avenant n°6 de la convention médicale.
LA QUESTION :
Comment faut-il entendre la notion de « mise en place d’organisations territoriales pour le recours aux téléconsultations » prévue par l’Article 28.6.1.2. de la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance maladie et notamment son avenant 6 ?
En effet, la disposition en cause précise que les organisations doivent en principe permettre aux patients, et notamment ceux qui n’ont pas de médecin traitant :
– d’être pris en charge rapidement compte tenu de leurs besoins en soins ;
– d’accéder à un médecin, par le biais notamment de la téléconsultation, compte tenu de leur éloignement des offreurs de soins ;
– d’être en mesure dans un second temps de désigner un médecin traitant pour leur suivi au long cours et réintégrer ainsi le parcours de soins.
Il peut s’agir de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), d’équipes de soins primaires (ESP), de maisons de santé pluri-professionnelles (MSP), de centres de santé (CDS) ou de toute organisation territoriale qui se proposent notamment d’organiser une réponse en télémédecine de manière coordonnée et ouverte à tous les professionnels de santé du territoire. Dans ce dernier cas, la commission paritaire locale (CPL) ou régionale (CPR) saisie (représentants des Caisses et des syndicats médicaux signataires de la Convention), valide l’organisation proposée afin de vérifier si celle-ci répond à l’organisation territoriale souhaitée par les partenaires conventionnels dans le cadre des téléconsultations. Les téléconsultations réalisées dans ce cadre doivent également répondre aux conditions définies aux articles 28.6.1 et suivants de ladite convention.
LE RAISONNEMENT DU CONSEIL D’ETAT :
Le Conseil d’Etat a procédé à une analyse de l’avenant n° 6 à la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance-maladie signée le 25 août 2016, pour en déduire que la télémédecine n’est normalement exercée, en principe, que par le médecin traitant d’un patient, dans le respect du parcours de soins coordonnés, et avec l’accord initial du patient, la téléconsultation devant en principe ne concerner que des patients connus du médecin. Toutefois, cet avenant prévoit que l’exigence du respect du parcours de soins coordonnés ne s’applique pas aux patients qui ne disposent pas de médecin traitant désigné, ou lorsque ce dernier n’est pas disponible dans des délais compatibles avec leur état de santé. Dans ce seul cas, le médecin téléconsultant n’est pas nécessairement connu du patient. Toutefois, même dans ce dernier cas, la téléconsultation est « assurée dans le cadre d’une organisation territoriale ».
En effet, ces organisations territoriales coordonnées, mentionnées au point 28.6.1.2 de l’article 28-6, sont conçues de manière à permettre une prise en charge rapide du patient, en raison de son éloignement d’un offreur de soins, et de le mettre en mesure, si l’on n’en dispose pas, de désigner un médecin traitant dans le but de réintégrer le parcours de soins. Pour mettre en œuvre une telle organisation territoriale, les centres de santé régis par les articles L. 162-32 du code de la sécurité sociale et suivants peuvent organiser une réponse de télémédecine de manière coordonnée ouverte à tous les professionnels de santé du territoire concerné.
Il en résulte, selon la Haute Assemblée, que ces stipulations permettent de caractériser le domaine de la téléconsultation comme reposant sur une organisation territoriale, dont il résulte clairement de la convention qu’elle ne peut être d’ampleur nationale. Précisément, cette organisation doit être fondée, même dans le cas régi par le point 28.6.1.2 où il est dérogé au principe de téléconsultation par le médecin traitant, sur une organisation locale composée essentiellement de praticiens procédant à des consultations physiques, sans que puisse être exclu entièrement le recours à d’autres patriciens ou spécialistes installés hors du territoire concerné.
Ainsi, la téléconsultation ne peut, dans la perspective de la convention (et donc avec prise en charge par l’Assurance Maladie), qu’être délivrée accessoirement à une activité principale de consultation réelle, pour suppléer notamment à l’absence de praticiens, ou à la difficulté du patient de se déplacer, et si elle peut, à titre dérogatoire, concerner des patients sans médecin référent, c’est dans la perspective qu’ils puissent en trouver un, et donc principalement au bénéfice de patients domiciliés dans le territoire concerné.
Et le Conseil de conclure : « la CNAM ne saurait procéder au remboursement, et doit donner instruction en ce sens, de consultations qui relèveraient d’une organisation incompatible avec la convention ».
En l’espèce, l’organisation choisie par l’association DigiSanté repose, pour l’essentiel, sur un ensemble de médecins salariés à temps partiel qui ne sont mobilisés que pour des consultations de télémédecine. Initialement dépourvu de médecins pouvant procéder à des consultations sur place, le centre n’en compte un que depuis le milieu du mois de mai 2019. Par ailleurs, le centre a vocation à délivrer des consultations de télémédecine sur la totalité du territoire national, principalement au profit de patients de l’Ile-de-France, et de l’ensemble du territoire national dans des zones ou la densité de médecins installés est faible. Ne constituant pas la prolongation d’une activité physique exercée par des praticiens au sein d’un territoire identifié, qui ne saurait, dans l’esprit ayant présidé à la conclusion de la convention, s’étendre à un bassin de population comptant des millions d’habitants, cette organisation, alors même que le centre de santé déclaré à l’ARS n’a fait l’objet de la part de cette dernière d’aucune critique sur sa conformité aux exigences du code de la sécurité sociale, ne répond pas aux objectifs et aux limites qui découlent de l’article 28-6 de la convention.
LA SOLUTION EN BREF :
Le Conseil d’Etat rejette la requête des demandeurs. Il va falloir que les initiatives privées s’adaptent à ces précisions relatives à la mise en œuvre de la télémédecine prise en charge par l’Assurance Maladie (quand bien même les projets privés auraient l’aval des ARS).
En attendant d’éventuelles évolutions vers davantage de souplesse et de place pour la télémédecine « privée », les requérants pourront toujours instaurer, à l’instar de leurs concurrents de plus en plus nombreux, une telle activité dans un cadre strictement privé, financé a priori par les patients eux-mêmes.