Dans deux affaires récentes, le juge administratif vient rappeler que le principe selon lequel « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait sa naissance » ne s’oppose pas à l’indemnisation des proches de l’enfant à raison de leurs préjudices propres.
1er cas : Indemnisation des parents, fratrie, grands-parents et oncle
Mme B. a accouché le 13 septembre 2007 au centre hospitalier de Saint-Nazaire du jeune D. B., qui a souffert d’une malformation cardiaque non détectée pendant la grossesse. Malgré les soins et les nombreuses interventions chirurgicales réparatrices dont il a bénéficié, D. B. est aujourd’hui lourdement handicapé. Ses parents, en leur nom propre et en leur qualité de représentants légaux de leur fille mineure sœur de D. B., les grands-parents et l’oncle de D. B., ont demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner le centre hospitalier de Saint-Nazaire à réparer les préjudices qu’ils ont subi en raison de l’absence de détection prénatale de la malformation cardiaque dont a souffert D. B. Le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande, en se fondant sur les dispositions de l’article L. 114-5 CASF qui prévoit notamment que « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance ».
La Cour administrative d’appel de Nantes considère au contraire qu’ il ne résulte pas de ces dispositions « dont l’objet est uniquement d’exclure tout droit à réparation des préjudices de l’enfant et des charges particulières découlant de ces préjudices pour les parents ou pour les tiers, qu’en cas de faute caractérisée d’un établissement de santé seuls le père et la mère d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse peuvent demander à être indemnisés au titre de leurs préjudices propres, à l’exclusion des proches ayant subi un préjudice de même nature ».
Pour accorder une indemnité aux proches, la juridiction relève, d’une part, que la sœur du jeune D. B., qui n’avait que trois ans lors de la naissance de son frère, a été fortement affectée par le handicap de celui-ci, qu’elle a souffert des absences répétées de ses parents, et qu’elle a dû en conséquence être suivie au plan psychologique et, d’autre part, que les grands-parents et l’oncle ont activement soutenu les parents à l’occasion de la prise en charge de l’enfant.
Source : CAA Nantes, 5 oct. 2018, n° 16NT03990
2nd cas : Indemnisation des parents, et de la fratrie
Mme D. a bénéficié d’une fécondation in vitro à l’issue de laquelle elle a donné naissance, le 21 septembre 1999, à trois garçons. En 2005, le diagnostic de dystrophie musculaire de Becker a été posé concernant deux d’entre eux, B. et A. Saisi d’une requête en responsabilité, le tribunal administratif de Bordeaux a considéré que le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot avait commis une faute caractérisée en égarant la lettre du centre hospitalier universitaire de Bordeaux (CHU) l’informant des risques de myopathie encourus par les futurs enfants de M. et Mme D. et en n’informant pas ces derniers de la possibilité d’effectuer un diagnostic prénatal compte tenu de leurs antécédents familiaux. Il a, en conséquence, condamné cet établissement à indemniser les parents, pour leurs préjudices propres, et le frère de A. et B. en réparation de son préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence subis à raison du handicap de ses frères.
Les parents ont fait appel de cette décision, le tribunal administratif n’ayant pas retenu de faute à l’encontre du CHU de Bordeaux. En effet, les parents produisaient une lettre du CHU du 9 mai 1996, qui indiquait que le résultat de ses caryotypes était tout à fait normal alors que seuls les résultats des examens relatifs à la mucoviscidose étaient alors connus, et en s’abstenant de l’informer qu’elle risquait de transmettre à ses enfants le gène de la dystrophie musculaire de Becker. La Cour administrative d’appel retient une faute du CHU qui n’a pas informé Mme D. des risques de transmissions du gène de dystrophie musculaire de Becker dont elle était porteuse.
La Cour retient le même raisonnement que la Cour administrative d’appel de Bordeaux dans l’affaire rappelée ci-avant : « les dispositions du troisième alinéa de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles relatives au caractère non indemnisable des préjudices subis par les enfants handicapés du fait de leur naissance ainsi qu’aux charges particulières pour les parents découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap n’ont pas pour objet d’interdire l’indemnisation des préjudices moraux et des troubles dans leurs conditions d’existence subis par d’autres membres de la famille et notamment par la fratrie de l’enfant né handicapé »
En l’espèce, les parents invoquaient une faute du Centre hospitalier de Villeneuve sur Lot qui avait perdu le courrier du 9 mai 1996 du CHU de Bordeaux. Alors que le centre hospitalier de Villeneuve sur Lot soutenait que le diagnostic prénatal des fœtus atteints de la myopathie de Becker par ponction de liquide amniotique était particulièrement délicate et que la réalisation, ensuite, d’une interruption sélective de grossesse était « encore plus délicate et aléatoire » pour écarter l’existence d’un préjudice certain, la Cour retient que « des lettres adressées par un praticien du CHU les 18 avril et 20 août 1996 qu’en présence de risques de mucoviscidose et de myopathie de Becker, un diagnostic prénatal s’imposait et du rapport d’expertise judicaire que « le couple a donc subi une perte de chance concernant la possibilité d’obtenir des enfants non atteints de la dystrophie musculaire de Becker, soit en renonçant à la grossesse, soit en bénéficiant d’un diagnostic prénatal avec interruption sélective de grossesse ».
La Cour administrative d’appel de Bordeaux fait donc droit à l’appel interjeté par les parents, et révise l’indemnisation qui leur a été accordée.
Source : CAA Bordeaux, 4 déc. 2018, n° 16BX02831