Le compérage est prohibé par tous les codes de déontologie applicables aux professions médicales. Pour autant, le code de santé publique ne le définit pas de manière générale. Seul le code de déontologie applicable aux pharmaciens définit ce terme comme « l’intelligence entre deux ou plusieurs personnes en vue d’avantages obtenus au détriment du patient ou de tiers » (article R. 4235-27 CSP).
Le compérage est donc une manœuvre entre une ou plusieurs personnes, au détriment d’une ou plusieurs autres. C’est la collusion entre professionnels de santé ou avec un tiers qui est ici condamnée, et plus particulièrement, la pratique consistant à se procurer mutuellement des clients, l’une persuadant les siens qu’ils ont besoin des soins ou des produits d’une autre :
Alors, quand un professionnel adhère à un réseau mutualiste, ne peut-on pas considérer qu’il y a compérage ? La question a été posée au Conseil d’Etat qui répond par la négative.
Mme D., chirurgien-dentiste, a établi à l’intention d’un patient un devis relatif à la réalisation de soins dentaires. Ce patient a interrogé son organisme de protection complémentaire en matière de santé sur le niveau auquel ces soins seraient pris en charge. Après avoir délivré cette information, cet organisme lui a fait part de la possibilité de bénéficier d’un « reste à charge » plus limité en s’adressant à un chirurgien-dentiste affilié au « réseau de soins Santéclair » et lui a communiqué les noms de trois praticiens adhérents à cet organisme et installés à proximité de son domicile. Le patient s’est donc tourné vers l’un des praticiens.
Mme D. a porté plainte contre M. B., qui était l’un de ces trois praticiens, devant la chambre disciplinaire de première instance de Bourgogne de l’ordre des chirurgiens-dentistes. Elle soutenait notamment que M. B. consentait à un effort tarifaire en contrepartie de la garantie par Santéclair d’un « volume de patients ». Pour elle, le contrat conclu entre Santéclair et M. B. traduisait une relation de compérage prohibé par l’article R. 4127-224 du code de la santé publique : « Tout compérage entre chirurgien-dentiste, médecin, pharmacien, auxiliaires médicaux ou toutes autres personnes, même étrangères à la médecine, est interdit ».
Rejetée en première instance par la chambre disciplinaire de première instance, puis en appel par la chambre disciplinaire nationale, Mme D. s’est pourvu en cassation devant le Conseil d’Etat.
La question posée est la suivante : le contrat conclu entre un chirurgien-dentiste et un réseau mutualiste est-il constitutif de compérage ?
Le juge disciplinaire a analysé le contrat d’adhésion proposé par le réseau Santéclair et signé par M. B. Il s’agit d’un contrat conclu en vertu du I de l’article 2 de la loi du 27 janvier 2014 qui prohibe notamment les clauses d’exclusivité.
A sa lecture, il apparaît que ce contrat ne stipule ni que les honoraires pratiqués par les praticiens adhérents varient selon que le patient est ou non bénéficiaire des services de Santéclair ni que Santéclair s’engage à orienter les patients bénéficiaires vers les praticiens adhérents. L’engagement contractuel de Santéclair consistait seulement à communiquer aux patients bénéficiaires de ses services, sur leur demande, les coordonnées des praticiens adhérents à Santéclair et les honoraires qu’ils pratiquent. Le Conseil d’Etat analyse donc ce contrat comme ne constituant pas un acte de compérage prohibé.
En effet, il convient de noter que la collusion est écartée car le praticien adhère à un réseau sans pour autant permettre à la mutuelle de bénéficier d’un avantage : sa prise en charge des frais médicaux reste identique quel que soit le professionnel choisit par le patient, seul le reste à charge est réduit par le recours au praticien du réseau.
La qualification de publicité indirecte est également écartée en raison du comportement actif du patient. En effet, un courriel adressé par Santéclair au patient démontre que c’est ce dernier qui avait fait une démarche auprès de Santéclair en vue de se voir communiquer le nom de praticiens adhérents à Santéclair. En communiquant trois noms de praticiens avec des données objectives sur les honoraires pratiqués, Santéclair n’avait fait que répondre à la demande du patient.
Source : CE, 19 décembre 2018, n° 403426